Présentation
- Date de parution : 1833
- Résumé : Félix Grandet (« le père Grandet ») est un très riche tonnelier*, bien connu pour son avarice*. Il désire marier sa fille Eugénie à un bon parti, c'est-à-dire à un homme qui lui rapportera de l’argent. Plusieurs hommes se battent pour ce mariage avec Eugénie, attirés par la fortune de son père. Mais Eugénie rêve d’un mariage d’amour. Le jour de ses 23 ans arrive de Paris son cousin, Charles, confié à Grandet par son père qui vient de se suicider suite à sa faillite. La famille accueille le jeune homme et Eugénie en tombe amoureuse…
- Thèmes : l’avarice, la vanité, l’égoïsme, la pureté et la corruption, la perte de l’innocence
Points intéressants
- Avec le personnage de Félix Grandet, Balzac offre une nouvelle exploration du type de l’avare, faisant écho au célèbre personnage de Molière dans sa pièce L’Avare (1668).
- Balzac écrit ce roman à l’âge de 34 ans, avant sa grande idée de Comédie humaine qui réunira ses oeuvres et marquera le début du retour de certains personnages dans ses romans.
Extraits : descriptions de Félix Grandet
Il n'allait jamais chez personne, ne voulait ni recevoir ni donner à dîner ; il ne faisait jamais de bruit, et semblait économiser tout, même le mouvement. Il ne dérangeait rien chez les autres par un respect constant de la propriété. Néanmoins, malgré la douceur de sa voix, malgré sa tenue circonspecte*, le langage et les habitudes du tonnelier perçaient, surtout quand il était au logis, où il se contraignait moins que partout ailleurs.
Au physique, Grandet était un homme de cinq pieds*, trapu, carré […] son visage était rond, tanné, marqué de petite vérole ; son menton était droit, […] ses dents étaient blanches ; ses yeux avaient l'expression calme et dévoratrice que le peuple accorde au basilic* ; son front, plein de rides transversales, ne manquait pas de protubérances* significatives […] Cette figure annonçait une finesse dangereuse, une probité sans chaleur, l'égoïsme d'un homme habitué à concentrer ses sentiments dans la jouissance de l'avarice et sur le seul être qui lui fût réellement de quelque chose, sa fille Eugénie, sa seule héritière. Attitude, manières, démarche, tout en lui, d'ailleurs, attestait cette croyance en soi que donne l'habitude d'avoir toujours réussi dans ses entreprises. Aussi, quoique* de mœurs* faciles et molles en apparence, monsieur Grandet avait-il un caractère de bronze.
Toujours vêtu de la même manière, qui le voyait aujourd'hui le voyait tel qu'il était depuis 1791. […] Ses gants, aussi solides que ceux des gendarmes, lui duraient vingt mois et, pour les conserver propres, il les posait sur le bord de son chapeau à la même place, par un geste méthodique. Saumur* ne savait rien de plus sur ce personnage.
Un peu plus loin dans le roman :
[…] peu dormeur, Grandet employait la moitié de ses nuits aux calculs préliminaires qui donnaient à ses vues, à ses observations, à ses plans, leur étonnante justesse et leur assuraient cette constante réussite de laquelle s'émerveillaient les Saumurois. Tout pouvoir humain est un composé de patience et de temps. Les gens puissants veulent et veillent. La vie de l'avare est un constant exercice de la puissance humaine mise au service de la personnalité. Il ne s'appuie que sur deux sentiments : l'amour-propre et l'intérêt ; mais l'intérêt étant en quelque sorte l'amour-propre solide et bien entendu, l'attestation continue d'une supériorité réelle, l'amour-propre et l'intérêt sont deux parties d'un même tout, l'égoïsme. De là vient peut-être la prodigieuse curiosité qu'excitent les avares habilement mis en scène.
Chacun tient par un fil* à ces personnages qui s'attaquent à tous les sentiments humains, en les résumant tous. Où est l'homme sans désir, et quel désir social se résoudra sans argent ?
Commentaire
Ce que j’aime le plus chez Balzac, c’est le génie de ses descriptions. Il ne se contente jamais d’une description physique et morale rapide de ses personnages principaux mais nous offre tous les détails pour les imaginer de manière extrêmement vivante.
Il choisit un type (ici l’avare) et plonge dans les profondeurs de la nature humaine pour comprendre les passions qui le régissent, décrypter le mécanisme psychologique de son obsession et ensuite le décrire de manière très concrète, par ses actes quotidiens, tout en éclairant le lecteur sur les valeurs qui sont à l’origine de son comportement.
Sa capacité d’analyse est si fine qu’on a l’impression de connaître ces personnages de l’intérieur. On comprend exactement les motivations qui les font agir.
Par son oeuvre colossale, Balzac a non seulement réussi à capturer la société de son temps, mais aussi à décrire l’aspect intemporel de la nature humaine. Certains de ses personnages sont même passés dans le language courant (le plus célèbre étant Rastignac : l’archétype d’une personne à l’ambition sans scrupules, prête à tout pour réussir).
Vocabulaire
Un tonnelier : un fabriquant de tonneaux
L’avarice (f) : attachement excessif à l’argent et désir compulsif de l’accumuler.
Circonspect : prudent, retenu
5 pieds : 1, 62 m
Le basilic (mythologie) : serpent fabuleux qui possédait le pouvoir de tuer par son seul regard.
Une protubérance : une bosse
Quoique : bien que
Les moeurs (f, p) : le comportement
Saumur : la ville où habite la famille Grandet (région Pays de la Loire, à moins de 2 heures de Nantes)
Chacun tient par un fil à : chacun est lié à
Pour aller plus loin
Pour accompagner votre lecture, je vous conseille d’écouter le livre audio.
Une adaptation du roman vient de sortir en salles en France. Si elle s’éloigne un peu du roman en proposant une fin plus heureuse, elle est cependant assez fidèle à l’histoire et les décors sont très réussis pour décrire la vie d’une famille à la campagne à cette époque-là.
Visitons ensemble la Maison de Balzac à Paris