Présentation
- Date de parution : 1856
- Résumé : Emma Bovary, épouse d’un médecin, essaye désespérément d’échapper à l’ennui, la banalité et la médiocrité de la vie provinciale par la lecture de romans d’amour, des dépenses excessives et des relations adultères.
- Thèmes : l’ennui, le conflit entre vie fantasmée et réalité, l’amour, les illusions, le danger de l’excès de romantisme.
Points intéressants
- Flaubert sera attaqué en justice dès sa parution du roman pour « immoralité et obscénité. » Il sera acquitté mais le procès contribuera à le faire connaître du grand public.
- Suite au roman est inventé le terme de « bovarysme », introduit par Jules de Gaultier en 1892 dans son essai, Le Bovarysme, la psychologie dans l’œuvre de Flaubert. Le bovarysme se définit comme « un état d’insatisfaction, sur les plans affectifs et sociaux (…) qui se traduit par des ambitions vaines et démesurées, une fuite dans l’imaginaire et le romanesque. »
Extrait
[ … ] Emma se répétait : « Pourquoi, mon Dieu ! me suis-je mariée ? »
Elle se demandait s'il n'y aurait pas eu moyen, par d'autres combinaisons du
hasard, de rencontrer un autre homme ; et elle cherchait à imaginer quels
eussent été ces événements non survenus, cette vie différente, ce mari qu'elle
ne connaissait pas. Tous, en effet, ne ressemblaient pas à celui-là. Il aurait pu
être beau, spirituel, distingué, attirant, tels qu'ils étaient sans doute, ceux
qu'avaient épousés ses anciennes camarades du couvent. Que faisaient-elles
maintenant? A la ville, avec le bruit des rues, le bourdonnement des théâtres et
les clartés du bal, elles avaient des existences où le coeur se dilate, où les sens
s'épanouissent. Mais elle, sa vie était froide comme un grenier dont la lucarne
est au nord, et l'ennui, araignée silencieuse, filait sa toile dans l'ombre à tous les
coins de son coeur. Elle se rappelait les jours de distribution de prix, où elle
montait sur l'estrade pour aller chercher ses petites couronnes. Avec ses
cheveux en tresse, sa robe blanche et ses souliers de prunelle découverts, elle
avait une façon gentille, et les messieurs, quand elle regagnait sa place, se
penchaient pour lui faire des compliments ; la cour était pleine de calèches, on
lui disait adieu par les portières, le maître de musique passait en saluant, avec
sa boîte à violon. Comme c'était loin, tout cela! comme c'était loin!
Commentaire
En 1852, Flaubert écrivait dans une lettre à Louise Colet : « Ce qui me semble le plus beau, ce que je voudrais faire, c’est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style, […] un livre qui n’aurait presque pas de sujet ou du moins où le sujet serait presque invisible. »
On dit souvent que Madame Bovary est ce livre dont Flaubert a rêvé pendant de longues années, sur lequel il a travaillé d’arrache-pied*.
« Si je parvenais à écrire comme je sais qu’il faut écrire, quel écrivain je serais ! »
Eternel perfectionniste il écrit deux pages par jour, dont il détruit les deux tiers le lendemain. Il cherche le « style juste », qui correspond exactement aux sensations qu’il ressent. Chaque mot compte et son exigence va jusqu’à lire chaque phrase à haute voix* pour s’assurer de sa musicalité. La justesse et l’harmonie vont de pair*. En écoutant la prose de Flaubert lue, on perçoit tout de suite cette musicalité, cette harmonie entre le fond et la forme* à laquelle il a consacré tant d’efforts.
Cet extrait montre bien le paysage intérieur d’Emma Bovary : l’ennui lancinant*, les regrets, le désespoir et l’idéalisation du passé et du bonheur des autres. Tout ce qui la poussera tout au long du roman à essayer de s’échapper, de poétiser son existence pour se sentir enfin vivante, pour vivre cette vie romantique et vibrante dont elle rêve depuis son enfance.
Flaubert peint avec génie les ravages de l’excès de romantisme, les dangers de chercher dans la réalité ce qui n’existe que dans les romans à l’eau de rose*. La soif d’amour d’Emma est insatiable et son insatisfaction incurable. Elle ne peut voir la beauté de sa vie car elle est prisonnière d’une vision de l’amour idéalisée qui la détruit.
Et pourtant, elle est aimée… Par un homme simple certes, mais honnête et loyal : Charles, dont le lecteur fait la connaissance dès le début du roman et que l’on suivra jusqu’à sa mort paisible. Et si c’était lui le personnage principal de l’histoire ? Et si le roman que nous lisions était finalement celui de Monsieur Bovary ?
Pour aller plus loin
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Vocabulaire
- Extrait
S’il n’y aurait pas eu moyen de : s’il n’y aurait pas eu une manière de… (conditionnel passé : if it wouldn’t have been a way to)
Quelle eussent été (vieux) : plus-que parfait du subjonctif. Ce temps n’est plus utilisé dans le français moderne. On dirait aujourd’hui « quelles auraient été » (conditionnel passé)
Bourdonnement (m.) : hum, humming, buzzing
Clartés (f.p.) (vieux) : les lumières
Lucarne (f.) : skylight
Prunelle (f.) : prunella (a heavy woolen fabric used for the uppers of shoes)
Elle avait une façon gentille (vieux) : Elle était jolie
- Commentaire
Travailler d’arrache-pied : work relentlessly
À haute voix : aloud
Aller de pair : go hand in hand
Le fond et la forme : form and content
Lancinant : nagging
Un roman à l’eau de rose : a mushy novel (excessively sentimental)